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Décryptage de la réforme des retraites 2023

1 – Qu’est-ce que la retraite ?

■ La retraite est un droit fondamental acquis au fil de longues batailles menées depuis 1910. L’étape décisive est franchie en 1945 avec la création de la sécurité sociale, sous l’impulsion d’Ambroise Croizat, dans le prolongement du programme du Conseil national de la Résistance, qui affirmait vouloir « un programme complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence » et « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ».
■ Ce droit est garanti par la répartition, par la solidarité entre générations. Il est créé par le travail grâce à la cotisation salariale. C’est un droit que l’on partage. La retraite, telle qu’elle a grandi au fil du temps, n’est plus seulement un filet de sécurité accordé aux femmes et aux hommes dont la force de travail n’est plus suffisante pour pouvoir subvenir à leurs besoins.
■ Mais il a été abîmé au fil des réformes et l’on cherche à l’affaiblir, à nous y faire renoncer, à nous convaincre que ce droit serait abusif et qu’il faudrait continuer à revenir en arrière.
■ La retraite, c’est un acte de civilisation qui permet de pouvoir être libéré du travail prescrit après y avoir tant consacré dans la force de l’âge. C’est la perspective d’un formidable espace de liberté. C’est un choix de société.

2 – Que contient le projet de réforme du gouvernement ?

■ Reculer l’âge légal de départ à 64 ans et augmenter le nombre de trimestres travaillés pour prétendre à une retraite à taux plein : c’est le cœur du projet. La mise en place sera très rapide dès septembre 2023. Dès la loi votée, l’âge sera reculé tous les ans de trois mois : trois mois de plus dès 2023 pour la génération 1961, 6 mois en 2024 pour la génération 1962, 9 mois en 2025 pour la génération 1963, pour aboutir à 2 ans en 2030 (64 ans) pour la génération 1968. Mais l’âge légal ne garantit pas une pension complète : beaucoup sont déjà contraints aujourd’hui d’aller au-delà de 62 ans, et demain beaucoup plus encore seront contraints d’aller au-delà de 64 ans s’ils veulent une retraite à taux plein.
■ En même temps qu’il recule de 2 ans l’âge légal de départ à la retraite, le Gouvernement augmente brutalement le nombre de trimestres nécessaires pour prétendre à une « carrière complète ». En effet, le Gouvernement a décidé d’accélérer la réforme « Touraine » pour atteindre 43 annuités cotisées (172 trimestres) dès 2027 au lieu de 2035. Concrètement, chacun devra cotiser un trimestre en plus tous les ans. A l’heure actuelle, les 43 annuités devaient être atteintes par la génération 1973 ; avec la réforme Macron, c’est la génération 1965 qui devra cotiser 43 annuités.
■ Pour faire passer la pilule, le gouvernement communique beaucoup sur une mesure dite « sociale » : porter le minimum retraite à 1200 euros brut (aux alentours de 1100 euros net une fois la CSG déduite), soit 85% du SMIC. Il s’agit d’une mesure en trompe l’œil : actuellement, le minimum contributif est aux alentours de 980 euros net/mois, soit 75% du SMIC. Il va donc être revalorisé de 100 euros. Et seuls ceux qui auront une carrière complète au SMIC pourront y prétendre. Pour les autres, les « petites » retraites issues de carrières hachées ou incomplètes, elles percevront comme aujourd’hui le minimum contributif de base (684 euros bruts par mois) revalorisé de 25 euros. Cotiser 43 ans au SMIC pour une pension de 1200 euros brut, c’est loin d’être suffisant et acceptable. Il faut garantir des retraites dignes. C’est le sens de la première proposition de loi que j’avais déposée en 2017. Mais cela ne saurait être une contrepartie à une régression sociale majeure.
■ Et en plus, il veut puiser dans les caisses des maladies professionnelles et des accidents du travail au lieu d’agir pour améliorer la santé au travail.

3 – Est-il logique de travailler plus longtemps ?

L’argument employé est simpliste : on vit plus longtemps, on devrait travailler plus longtemps. On peut répondre plusieurs choses à cet argument.
■ Pourquoi l’allongement de l’espérance de vie, qui est un progrès de société, devrait-il être utilisé à travailler ? Les salariés profitent si peu des gains de productivité du travail.
■ L’allongement général de l’espérance de vie ne signifie pas un allongement de la vie pour chacune et chacun. En décalant l’âge légal de départ à la retraite, on augmentera le nombre de celles et ceux qui ne la verront pas. Principalement les personnes qui ont commencé tôt, avec de moindres qualifications et de moindres rémunérations.
■ C’est le droit à la retraite et à la santé qui ont permis une amélioration de l’espérance de vie. Allonger la durée de vie au travail aura des effets négatifs sur l’espérance de vie et la santé.
■ Les durées moyennes cotisées augmentent plus vite que l’espérance de vie.
■ L’espérance de vie en bonne santé ne progresse plus. Elle stagne autour de 63 ans. L’âge légal de départ à la retraite serait placé au-delà. Entre un quart et un tiers des gens atteignent déjà la retraite avec des incapacités.
■ Les études montrent désormais qu’à chaque fois où l’âge de retraite est repoussé, on diminue le temps de retraite en bonne santé. La réforme nous volerait nos meilleures années de retraite : il ne resterait que la retraite « pour se soigner ».

4 – Pourquoi cet acharnement ?

■ La sécurité sociale permet de sanctuariser les richesses nécessaires au droit à la retraite. Cette masse d’argent, certains voudraient la récupérer pour spéculer et la remettre entre les mains du marché, si ce n’est pas toute, au moins en partie. Plus le droit à la retraite sera bas, plus cette somme sera contenue, et plus il sera nécessaire de développer des solutions individuelles, des produits financiers.
■ L’Union européenne exige une réduction des dépenses publiques et sociales. Or, il faudrait plutôt augmenter la part des richesses consacrées au droit à la retraite. Le gouvernement a engagé un mouvement de baisse vertigineuse des cotisations sociales des entreprises et des impôts sur les sociétés. Il veut continuer dans cette voie. Cela a un prix : il faut prendre sur les retraites. C’est ce que dit Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finances quand il parle de 8 milliards d’euros d’économies sur le dos du monde du travail en s’attaquant au droit à la retraite.
■ Le droit à la retraite est une conquête sociale symbolique qui a beaucoup résisté aux assauts du libéralisme. Lui infliger cette défaite ouvrirait la porte à des régressions plus grandes encore.

5 – Quel est l’état des finances du système ?

■ Après un déficit en 2020, le système a dégagé un excédent de 900 millions d’euros en 2021et prévoit un surplus de 3,2 milliards en 2022.
■ Selon les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR), notre système va connaître « une dynamique globalement toujours contenue des dépenses de retraite par rapport à l’évolution de la richesse nationale ». Reconnaissant lui-même que c’est une construction artificielle, le COR, invité par le gouvernement à revoir sa copie, estime qu’il pourrait y avoir un passage plus délicat entre 2028 et 2032. Le gouvernement parle en centaines de milliards pour faire peur, mais pour bien comprendre, il faut dire que le déficit pourrait monter jusqu’à peut-être 3% du montant total des pensions (entre 7,5 et 12,5 milliards). C’est un déficit auquel on peut faire face sans dégrader le droit à la retraite.
■ Selon Michael Zemmour, Maitre de Conférences à l’Université de Paris 1, « le déficit prévu n’est pas menaçant :10,7 milliards d’euros à la fin du quinquennat, soit 0,5 point de PIB ».
■ « À plus long terme, de 2032 jusqu’à 2070, malgré le vieillissement progressif de la populationfrançaise la part des dépenses de retraite dans la richesse nationale serait stable ou endiminution », écrit encore le COR.
■ Conclusion du COR : « les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ».
■ Si nous tenons à ce droit, posons nous la question dont le gouvernement ne veut pas entendre parler : comment se donner les moyens de garantir ce droit.

6 – Notre système est-il en danger ?

■ La dramatisation de la situation financière est un argument vieux comme le droit à la retraite, utilisé par tous ceux qui ont voulu s’y attaquer. Le gouvernement a besoin de cet argument pour se poser en sauveur du système de retraites.
■ Le système solidaire par répartition n’a jamais connu de risque de faillite. Il est pilotable et résistant aux aléas de la conjoncture.
■ Non notre système de retraites par répartition n’est pas en danger. Mais il faut stopper son assèchement. Le principal risque provient de la faiblesse des recettes.

7 – Le gouvernement a-t-il agi pour conforter les finances du système de retraites ?

■ Non. C’est tout l’inverse. Il a privé notre système de sécurité sociale de ressources en multipliant les exonérations de cotisations, atteignant des niveaux record (près de 80 milliards d’euros par an). Il a refusé d’augmenter le SMIC, d’agir pour l’augmentation des salaires, de prendre des mesures efficaces pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Il a alimenté le contournement du salaire avec la multiplication des primes, il a mené des politiques de maitrise de la masse salariale dans la fonction publique territoriale et hospitalière, de bas salaires et de précarité dans le secteur privé.
■ Il a organisé lui-même un affaiblissement budgétaire dont il se sert maintenant pour demander des sacrifices. Ce sont les Dalton qui crient « au voleur ! ».

8 – Quels seraient les effets de la réforme sur la retraite ?

■ Le premier effet d’un report de l’âge légal serait d’empêcher des actifs de partir à la retraite.
■ Cela provoquerait une baisse du niveau moyen des pensions. Beaucoup de femmes et d’hommes renonceraient à un droit plein et entier pour partir avec une retraite rabotée, parce qu’ils ne peuvent pas aller plus loin.
■ Le nombre de « séniors » sans emploi augmenterait et cela augmenterait d’au moins 4,9 milliards les dépenses sociales, selon le COR. Déjà, près d’un travailleur sur 2 à partir de 54 ans n’est plus en emploi et un tiers des plus de 61 ans n’est ni en emploi, ni en retraite. Cela prolongerait les situations invivables de précarité voire de pauvreté et aggraverait les inégalités.
■ Le nombre de séniors dans l’emploi augmenterait aussi, ce qui ferait autant d’emplois en moins pour les jeunes cherchant à entrer sur le marché du travail.
■ La participation des retraités à la vie sociale est essentielle. Le travail choisi et bénévole qu’ils accomplissent est facteur de lien social, de réponse aux besoins familiaux et locaux. Un affaiblissement de la vie associative, sportive, culturelle serait mécaniquement au rendez-vous.
■ Les actifs produiraient plus de richesses au cours de leur carrière : pour le bénéfice de qui ?

9 – Notre système de retraites est-il satisfaisant ?

■ Le système de retraite français est un des plus favorables en Europe : nous devrions en être fiers. Mais le gouvernement et le MEDEF préfèrent jouer au dumping social.
■ Mais s’il demeure un système fort, notre système doit être amélioré et réparé : les réformes qui se succèdent l’on affaibli et abîmé. Trop de retraités touchent une petite retraite et ce sont majoritairement des femmes.
■ Tout en établissant des taux de remplacement satisfaisants, nous pourrions avoir un système plus solidaire. La pénibilité de certains métiers est mal prise en compte. Les mutations de la vie professionnelle sont mal prises en compte, mais aussi les évolutions des études ou de la vie familiale
■ La cotisation a été affaiblie dans son rôle pour constituer des droits. Si l’on ne fait rien, le niveau des pensions par rapport aux salaires (donc le pouvoir d’achat et de vivre des retraités) va se dégrader encore en raison des mauvaises réformes qui ont été faites.

10 – Les régimes « spéciaux » sont-ils coupables ?

■ Les régimes spéciaux concernent 4 % des retraités et 1,4 % de la population active. Déployant une solidarité au sein d’une seule profession ou entreprise, ils ont leur histoire et préexistaient au régime général. Ils répondent à des réalités particulières avec chacun leur mode de financement particulier. Ce ne sont pas des privilèges mais des droits. Compte tenu de leurs évolutions démographiques, l’État verse une subvention d’équilibre qui correspond à 2% des dépenses totales des retraites. Pour la SNCF, par exemple, c’est l’Etat qui a décidé de son extinction : les nouveaux cheminots ne cotisent pas à ce régime mais au régime général.
■ Les régimes spéciaux permettent de prendre en compte des réalités de travail et de carrière singuliers, avec leurs critères de pénibilité. C’est aujourd’hui ce que le régime générale fait mal. Plutôt que de vouloir dégrader les droits de ces professions et tout tirer vers le bas, il faudrait s’en inspirer pour améliorer le régime général.
■ Les régimes de la fonction publique ne sont pas à proprement parler pas un régime spécial. Les adversaires du droit à la retraite ont utilisé une stratégie en descente d’escalier : dégradation du régime général puis du régime de la fonction publique. Selon toutes les études, les deux régimes, avec des modes de calcul différents liés à deux réalités de carrière et de rémunération différentes, donnent des résultats équivalents.

11 – Quels seraient les fondements d’une bonne réforme ?

Consolider un système à « prestations garanties », avec un taux de remplacement satisfaisant et prévisible pour tous dès le début de carrière, calculé sur les dix meilleures années.
Relever progressivement le minimum de retraite au niveau du SMIC.
■ Pour mieux prendre en compte les transformations sociales, redéfinir la notion de carrière complète (mieux reconnaître les périodes de chômage et valoriser les périodes d’implication familiale).
Créer des droits nouveaux en matière de reconnaissance de la pénibilité : les années passées dans un métier pénible pourraient donner droit à du temps de départ anticipé.
Abaisser l’âge de départ au-dessous de l’espérance de vie en bonne santé pour garantir un vrai temps de retraite en bonne santé. Pour en finir avec la régression sociale, il faudrait revenir à un âge de départ légal à 60 ans.
Arrêter d’encourager à travailler plus longtemps et de décourager le départ en retraite en s’attaquant au système de décote/surcote.
Harmoniser vers le haut les droits à la retraite des différents régimes (à rebours de ce qui se fait depuis 30 ans).
Renforcer les pouvoirs des salariés en accordant un rôle central aux organisations syndicales salariales en matière de gestion et de pilotage.
Redonner toute sa place à la cotisation dans le financement et prélever la part nécessaire sur les richesses produites.

12 – Quelles sont les pistes de ressources financières nouvelles ?

■ La part des retraites dans le Produit intérieur brut (PIB) est située aux alentours de 14 %. Le PIB, c’est-à-dire le total des richesses produites, augmente en volume. Des recettes nouvelles sont ainsi dégagées mécaniquement, notamment grâce à l’augmentation de la productivité du travail. En 2019, la France affiche la plus forte part de richesse produite par heure travaillée des pays de l’OCDE. Si cela est nécessaire pour garantir le droit à la retraite, nous pouvons faire le choix politique d’augmenter légèrement la part du PIB qui leur est consacrée. Le COR lui-même le reconnaît.
■ Un ensemble de mesures combinées peut permettre de financer une amélioration du droit à la retraite : revoir les exonérations massives et sans conditions de cotisations ; mettre fin à la politique de « modération salariale » et de réduction du prétendu « coût du travail » impulsée par la Banque centrale européenne pour augmenter les salaires et donc les cotisations ; arrêter la politique de précarisation de l’emploi pour améliorer les carrières, appliquer réellement l’égalité salariale et entre les femmes et les hommes, créer les emplois nécessaires dans la fonction publique ; faire cotiser les revenus du capital au même niveau que les salaires…
■ Une fois toutes ces pistes explorées, celle de la cotisation salariale dans le cadre d’un contrat social rénové pour la retraite pourrait être étudiée.

Les grandes dates de la casse de nos retraites

■ 1987 : Indexation des retraites sur l’indice des prix affaiblissant le lien direct entre travail et retraite.
■ 1990 : Création de la Contribution sociale généralisé (CSG) qui remplace de la cotisation par de l’impôt.
■ 1993 : Allongement de 37,5 ans à 40 ans de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein, calcul de la pension sur les 25 meilleures années contre 10 précédemment. La réforme Balladur a fait chuter considérablement le niveau des pensions versées. Pour la première fois depuis l’instauration de la Sécurité sociale, le droit à la retraite auquel pouvaient prétendre les actifs était moins favorable que celui de leurs aîné·e·s.
■ 1995 : Création d’un nouvel impôt, la Contribution au remboursement de la dette sociale.
■ 2003 : Allongement de la durée de cotisation des agents de la fonction publique jusqu’à 40 ans. Mise en place d’un mécanisme de décote-surcote en fonction de la durée de cotisation. Encouragement pour les plans d’épargne et de capitalisation. Point positif, vieille revendication : instauration d’un dispositif pour les carrières longues.
■ 2010 : Report de l’âge légal à 62 ans et du taux plein automatique à 67 ans. 2014 : (Réforme Touraine) : Allongement progressif de la durée de cotisation à 43 ans d’ici 2035 pour un droit à la retraite à taux plein.
■ 2017 : Augmentation de la CSG qui frappe particulièrement les retraités.
■ 2019 : Nouveaux encouragements à la capitalisation individuelle.

La retraite en chiffre

■ 18 millions de retraités
■ 1 million ne touchent qu’une pension de réversion
■ 1,5 million de retraités, soit 8,7%, sont considérés comme pauvres 332 milliards de dépenses de pensions en 2020
■ 1400 euros net, c’est le montant moyen de la pension
■ 40% c’est l’écart moyen entre les pensions des femmes et des hommes
■ 18% des retraités ayant effectué une carrière complète ont une pension inférieure à 1000 euros.
■ 62 ans et 4 mois, c’est l’âge moyen de départ en 2020, en augmentation constante.
■ Exonérations des cotisations patronales : – 72 Mds d’euros pour financer la protection sociale
■ Égalité salariales femmes/hommes : + 62 Mds de cotisations si elle était appliquée
■ Profits 2022 : 80,1 Mds d’euros dont 56 Mds distribués en dividendes

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