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Simplification des expérimentations

L’Assemblée nationale examinait un projet de loi de simplification des expérimentations qui, ouvrant la brèche à la différenciation entre collectivité, s’en prend à la commune et au principe à d’une République une et indivisible. Mon intervention dans l’hémicycle.

Le texte de mon intervention

Depuis une dizaine d’années, plusieurs réformes ont considérablement aggravé la mise en concurrence des territoires, élargi les inégalités, remis en cause les principes constitutionnels d’unité et d’indivisibilité de la République. Face à un tel bouleversement institutionnel, il aurait été indispensable d’engager un véritable débat national, mais les gouvernements successifs, pas seulement le vôtre, s’y sont obstinément refusé, préférant précipiter l’examen de réformes élaborées sans concertation et sans vision de long terme – la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République est très emblématique de telles dérives.

Toutes ces réformes, en louant les bienfaits de la gestion managériale, ont sans surprise renforcé partout la technostructure. À cet égard, la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a certes entériné des avancées minimes pour que les maires soient davantage entendus au sein des intercommunalités, mais elle n’a permis ni d’évaluer ni de contrarier les logiques supracommunales qui prévalent désormais dans l’organisation des intercommunalités. C’est bien pourtant le gigantisme sans contenu et la technocratisation qui affaiblissent la brique communale, c’est-à-dire le foyer même de la citoyenneté.

C’est dans ce contexte que nous examinons ce projet de loi organique qui, selon son exposé des motifs, entend simplifier les conditions de mise en œuvre des expérimentations et ainsi illustrer le principe de différenciation territoriale. Tout notre désaccord est d’ailleurs résumé par cette phrase. L’expérimentation, oui, pourquoi pas, mais inscrire durablement la différenciation des territoires, là est pour nous le problème.

On pourrait tout d’abord s’interroger sur la pertinence de l’examen de ce texte alors que le projet de loi dit 4D, reporté à plusieurs reprises, devrait être présenté en conseil des ministres au début du printemps. Certes, le présent texte est modeste et ne permet pas au Gouvernement de réaliser ses ambitions, d’affermir le droit à la différenciation en le mettant au même niveau, constitutionnel, que d’autres comme le principe d’égalité ou d’indivisibilité. Mais le mot d’ordre de la différenciation est bien ce qu’inspire cette réforme. L’article 6 vise en effet à faciliter les expérimentations pour les collectivités locales afin qu’elles ouvrent la voie à une différenciation durable. L’adoption de ce dispositif créerait une brèche en provoquant une rupture avec le principe d’égalité entre les collectivités, d’une part, et entre les citoyens, d’autre part.

Mes chers collègues, mesurez que, depuis la Révolution française, l’exercice de la citoyenneté se fonde sur le contrôle de l’impôt et de la dépense publique par le citoyen. C’est ce lien précieux entre le citoyen et la collectivité qu’il convient de ne pas abîmer ou distendre, comme tant de lois semblables à celle que nous examinons aujourd’hui l’ont fait, contribuant à nourrir la défiance et, finalement, l’abstention. De très nombreux pouvoirs, dans les territoires, sont exercés par des instances qui n’ont pas été désignées au suffrage universel direct. Quand le citoyen ne peut pas contrôler directement, par son vote, celui qui décide de nombreux aspects de sa vie quotidienne, il ne faut pas s’étonner que l’abstention progresse.

Autre principe républicain malmené : l’égalité. Pour exercer une compétence, encore faut-il en avoir les moyens. Or seules les collectivités les plus riches pourront prendre le risque d’assumer de nouvelles compétences et, in fine, en tirer avantage au détriment des territoires les plus pauvres. Plusieurs études en attestent : la différenciation constitue un obstacle au mécanisme correcteur des inégalités induites par la décentralisation. En outre, alors même que nous en appelons régulièrement à une meilleure lisibilité des politiques publiques, l’adoption de ce texte, qui vise à ce que la loi puisse varier selon les collectivités plutôt que de s’appliquer uniformément en France, ajouterait indéniablement de la complexité à un droit déjà peu intelligible. Elle créerait en outre une insécurité juridique pour les citoyens et les élus locaux. Tout cela concourrait, en définitive, à réduire la lisibilité des compétences de chaque autorité publique, à brouiller les responsabilités des uns et des autres et donc à abîmer le lien si précieux que j’évoquais entre les citoyens et les collectivités dont ils dépendent.

Enfin, l’affermissement de la différenciation nourrit des antagonismes dangereux pour l’unité de la République. De nouvelles réflexions émergent autour du concept flou de « territoire », utilisé pour opposer non seulement les collectivités à l’État, mais également les collectivités entre elles. Une telle vision ne peut que renforcer les particularismes locaux et les revendications régionalistes.

En définitive, vous l’aurez compris, nous considérons que ce texte ne peut que conduire à accentuer les fractures territoriales, alors même que nous devons les combler d’urgence. Nous voterons donc contre cette réforme.

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