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Haine sur Internet, une proposition de loi qui risque de rater sa cible

Je suis intervenu au nom du groupe communiste sur la proposition de loi de Mme Avia de lutte contre la haine sur Internet pour dire nos très grandes réserves sur ce projet qui risque de manquer sa cible, de ne pas trouver une issue véritable au problème d et épargnera les plateformes qui font commerce de nos données et menacent la liberté d’expression.

 

Le texte de mon intervention

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Madame la rapporteure, Mes chers collègues,

Pour paraphraser ce qu’Ésope disait de la langue, je crois que nous pourrons ici-même, tomber d’accord sur le fait que si Internet est souvent la meilleure des choses, il peut parfois être la pire.

La meilleure car il contribue à la diffusion du savoir, des idées, il donne de la voix à ceux qui en manquait, permet l’échange et la confrontation positive, celle qui nous élève tous.

Mais il peut aussi être la pire, en véhiculant les discours de haine, et devenir un véritable pilori numérique, où les victimes sont livrées à la vindicte, parfois au lynchage. Le développement des réseaux sociaux ces quinze dernières années a amplifié ce phénomène, poussant chacun de nous à une expression publique permanente, mettant l’émotion au centre du propos, favorisant le pathos plutôt que la raison, et parfois propageant à la vitesse de la lumière, la transgression haineuse, et les appels à la violence.

Bien sûr, personne ici je l’espère, ne veut revenir au monde d’avant, celui dans lequel le plus grand nombre était réduit au silence numérique. L’humanité a pris la parole sur Internet. Elle y parle désormais au proche comme au lointain, et sans demander la permission à qui que ce soit, elle y éprouve la liberté de s’y exprimer sans contrainte. C’est là un véritable acquis civilisationnel précieux qu’il nous faut conforter.

C’est pourquoi, pour défendre cet espace de liberté que peut-être Internet, il doit être régulé. Sans les règles qu’il se donne, un peuple n’est qu’une foule, parfois portée aux plus tragiques extrémités. Sans les règles qu’il faut lui donner, l’Internet peut aussi être une jungle dans laquelle prospèrent des contenus racistes, homophobes, sexistes, antisémites ou islamophobes qui blessent aussi bien les individus et notre société toute entière.

Je pense par exemple à ce que nous avons vécu, avec les récents appels à la haine qui se sont répandus sur les réseaux sociaux, accusant sans aucun fondement, d’enlèvements d’enfants, des membres de la communauté Rom. C’est, pourrait-on dire, un miracle que ces débordements de haine contre les Roms sur Internet, nourris de videos et d’appels aux lynchages, n’aient pas à cette occasion, produits de drames irréparables.

Malheureusement, le pire n’est pas toujours évité et on ne saurait s’accommoder de ces faits divers dramatiques, qui touchent souvent les plus fragiles, parfois jusqu’au suicide, et qui résultent directement de cet écoulement morbide de haine.

Pour les députés communistes, c’est très clair : nous ne pouvons rester sans rien faire. C’est en renonçant à réguler cet espace que nous ferions peser une véritable menace sur nos libertés. Le droit doit s’appliquer partout, espace numérique compris.

Et c’est parce que nous partageons cet objectif que nous regrettons que cette proposition de loi ne se soit pas donnée les moyens d’atteindre son but : élaborée à la va-vite, sans étude d’impact, elle a logiquement été accueillie pour le moins fraîchement et a d’ailleurs dû être très largement réécrite en commission.

En réalité, aussi louables soient vos intentions, nous redoutons que votre proposition de loi ne rate sa cible. D’abord parce que le défaut de régulation que nous constatons, résulte moins d’un vide législatif qu’il faudrait combler, mais plutôt d’un défaut de moyens pour appliquer des règles existantes, traquer les abus et réagir au plus vite.

Vous ratez votre cible parce qu’en vous focalisant sur les auteurs des propos haineux ou délictueux, vous épargnez les complices, c’est à dire les plateformes. Ce qui accélère la diffusion des contenus haineux, c’est avant tout les algorithmes de Google ou Facebook. Vous avez peut-être comme moi, déjà eut sous les yeux les videos du raciste Soral sans les avoir demandées. Qui donc a eu intérêt à vous les mettre sous le nez sinon les algorithmes déployés qui cherchent par tous les moyens à générer de l’audience, c’est à dire de la valeur, en donnant une prime aux pires contenus.

Oui, vous ratez votre cible car non seulement vous épargnez les plateformes, mais en croyant les responsabiliser, vous leur donnez un pouvoir tout à fait considérable. Vous croyez les sanctionnez, en réalité vous les légitimez. Pour elle, la sécurisation de l’Internet est un marché et non une mission de service public.

Oui, vous ratez votre cible car au nom de la responsabilisation des plateformes, de l’efficacité et de la réactivité, vous acceptez le manque de moyens des juges comme ceux de la police, et transférez finalement au privé le soin de dire le droit, d’enquêter, et de sanctionner c’est à dire de filtrer.

C’est devenu une habitude avec votre majorité et c’est extrêmement grave. Et cette confusion des genres participe du sentiment de flou embarrassant qui entoure votre proposition de loi. La commission a eu beau allonger la liste des infractions, reste que la notion de contenu « manifestement illicite » est par définition difficile à cerner. C’est pourquoi seul un juge est en capacité d’en saisir les nuances et les subtilités.

Oui, vous ratez votre cible, et consentez à faire le choix de cette forme de privatisation, faute de vous attaquer au manque de moyens de la justice et de la police dans ce domaine.

Est-il raisonnable mes chers collègues que les 163.000 signalements collectés l’an passé par la plateforme publique de signalement des contenus illicites et suspects sur Internet, Pharos, soient traités par seulement 24 policiers et gendarmes, dont 6 dans la cellule dédiée aux discours de haine ?

Voilà la véritable question. L’efficacité serait de renforcer les moyens de cette plateforme, pas de confier le soin de réguler ce qui est une mission de service public, à ceux qui prospèrent sur l’économie de l’attention. Il y a là un paradoxe de taille.

D’ailleurs, l’expérience de nos voisins allemands dans ce domaine, avec la loi NetzDG dont votre proposition de loi s’inspire, devrait nous alerter. Un an après a mise en application, elle se trouve critiquée aussi bien pour son manque d’efficacité que pour le dangers de « surcensure » qui l’accompagne. Le risque est bien réelle de voir la liberté de communication se rétrécir du fait d’une censure grand angle de la part des plateformes qui souhaiteront à bon compte se prémunir des sanctions prévues par la loi.

Chers collègues, lorsqu’une liberté aussi fondamentale que la liberté d’expression est en jeu, seul le juge est un recours légitime et efficace. Et contrairement aux idées reçues, la justice notamment en référé sait gérer les situations d’urgence.

J’ai dit notre intention de contribuer à ce que nous réussissions sur ce grave sujet : c’est pourquoi nous serons amenés à faire plusieurs propositions dans le débat.

D’abord, en rétablissant le rôle central du juge, seul capable d’une interprétation fine et étayée, et d’attester ou d’écarter avec rigueur toute illicéité des contenus.

Ensuite, en garantissant que les opérateurs de plateformes ne soient pas les seuls juges du « manifestement illicite » par le renforcement de dispositifs existants tel que la plateforme Pharos.

La transparence étant au cœur de la réussite d’une politique de régulation, nous proposons par ailleurs de renforcer l’obligation d’information à la charge des opérateurs de plateforme.

Enfin, nous vous proposons d’ouvrir la voie à ce qui serait une véritable innovation et un véritable progrès : l’obligation d’interopérabilité entre plateformes. Plutôt que de laisser les plateformes s’enfermer dans un modèle concurrentiel ancien et inefficace, le législateur serait inspiré de contribuer à faire émerger un modèle collaboratif à la fois plus opérationnel, plus réactif, plus transparent, et de contraindre par la loi les plateformes à s’y rallier. C’était, je vous le rappelle, une préconisation formulée dans un rapport du Conseil national du numérique. Nous proposons dans ce cadre la mise en place d’une base de données des notifications, en format libre et ouvert, fiables et transparentes, sur l’étendue et la nature des retraits effectués suite à des signalements aux opérateurs. Cette plateforme permettrait d’assurer un suivi réel de l’effectivité des mesures de blocage. Elle contribuerait à réduire l’emprise des géants de la net sur nos vies, et serait une source de transparence et de protection des données.

Vous l’avez compris mes chers collègues, si notre engagement contre la haine sur Internet est total, nos réserves et inquiétudes demeurent très grandes à l’issue des travaux en commission et alors que les débats s’ouvrent dans notre hémicycle.

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