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250e anniversaire du Grand Orient de France

Le grand Orient de France organisait à la bourse du travail de Saint-Denis ce samedi, à l’occasion de son 250e anniversaire, une conférence de Georges Serignac, son ancien grand maître.

Après le mot de bienvenue du maire, j’ai eu l’honneur d’y prononcer une allocution pour évoquer l’histoire commune de la franc-maçonnerie et du mouvement communiste.

J’ai rappelé nos références républicaines communes, la liberté, l’égalité, la fraternité sans oublier la laïcité. Mais aussi les moments tragiques de l’histoire affrontés côte a côte, de la grande révolution jusqu’à la résistance à l’occupant nazi, en passant par la Commune de Paris.

Retrouvez ici le texte de mon intervention

Mesdames, Messieurs,

Je mesure l’honneur qui m’est fait d’avoir ainsi la possibilité de m’exprimer devant vous, comme parlementaire, mais aussi et puisque vous m’y invitez, comme militant communiste.

Je m’en réjouis, car je veux le dire d’emblée, nos familles de pensées ont beaucoup en commun, beaucoup à partager. Reliant indissociablement le mouvement des idées à celui de la transformation sociale, la réflexion et l’engagement pour l’épanouissement humain, elles sont enracinées dans l’histoire même de notre Nation. Et même si les chemins que nous avons empruntés ont parfois pu nous éloigner, c’est toujours l’histoire qui a su nous réunir lorsque la nécessité l’emportait sur le reste, « quand les blés sont sous la grêle » comme dit le poète.

Permettez-moi d’illustrer cette communauté d’engagement aux heures tragiques de notre histoire.

C’était il y a 80 ans presque jour pour jour. En ce 2 octobre 1943 à l’aube, dans une clairière du Mont-Valérien, ils sont 50 à faire face aux fusils du peloton d’exécution, 50 otages fusillés en représailles de l’élimination de Julius Ritter, responsable allemand du STO en France.

Ils ont été choisis parmi les détenus du camp de Romainville parce que 36 d’entre eux sont communistes, et les autres membres du réseau « Alliance ». Tous résistants !

Je veux en citer quelques-uns.

Armand Dutreix est né à Limoges en 1899. Chef d’entreprise et militant socialiste, il est franc-maçon du Grand Orient de France. Dès 1941, il entre en contact avec le mouvement Libération-Sud, dont il devient l’un des responsables.

Abel Vacher est né à Bouligny dans la Meuse en 1904. Il est ajusteur-outilleur à la Société de constructions aéronautiques du Centre, à Issy-les-Moulineaux, et membre de la cellule communiste de l’usine. Il rejoint le Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France en mai 1941, puis les FTP en janvier 1942.

Martial Brigouleix est né à Ambrugeat en 1903, dans une famille de petits paysans de la haute Corrèze. Militant pacifiste, militant socialiste et membre de la Ligue des droits de l’Homme, il est franc-maçon au Grand Orient de France et à la Grande Loge de France. Il est l’adjoint d’Edmond Michelet au sein du mouvement Combat. Arrêté en avril 1943, il reste muet sous la torture.

Marcel Béraud est né à Issoire en 1910. Ébéniste, il est membre du Parti communiste et se bat en Espagne, comme volontaire dans les Brigades internationales. Au sein des services spéciaux de la France libre, il est chargé des atterrissages et parachutages en Auvergne. Il est arrêté en mai 1943 pour « résistance gaulliste ».

Ils sont nos frères, ils sont nos camarades. S’ils ont été choisis par les bourreaux, c’est parce qu’en raison même de leur engagement maçonnique ou communiste, ils sont les ennemis les plus acharnés du Reich allemand, ennemis de son système de pensée érigeant l’inégalité en principe, remplaçant le droit par la force, le culturel par le biologique.

Si nos ennemis ont ainsi choisi de nous unir dans le martyr de cette exécution, c’est bien parce qu’ils ont identifié ce qui nous relie, nos combats, nos convictions, nos fondations.

Oui, nos fondations sont communes. Comment ne pas évoquer la grande Révolution de 1789. Elle est pour nous tous, fondatrice. Prenant appui sur l’idéal de raison et de justice que les Lumières surent raviver, elle proclama au monde le choix indissociable de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, proposition dont l’universelle vitalité est aujourd’hui encore intacte.

Elle est une bannière partagée, comme l’est La Marseillaise du maçon Rouget de l’Isle, chant révolutionnaire qui trône au coeur de notre mythologie républicaine commune.

Oui, nous avons fréquenté les mêmes rendez-vous de l’histoire de la libération humaine.

Évoquons la Commune de Paris, œuvre éphémère qui inspira plusieurs générations de militantes et de militants, parmi lesquels on compte de nombreux francs-maçons. La Commune et ses valeurs, et surtout ses conquêtes, la démocratie directe, le droit de vote pour les étrangers, l’émancipation des femmes, la reconnaissance de l’union libre, la liberté de la presse, l’école gratuite et laïque, la séparation des Églises et de l’État. Un corpus d’idées qui constitua la base du programme de la gauche socialiste et révolutionnaire longtemps après la semaine sanglante.

Je sais la place occupée dans la mémoire maçonnique par le défilé qui rassembla, le 29 avril 1871, sans doute dix mille maçons et compagnons derrière une soixantaine de bannières. Assemblés devant l’hôtel de ville, Félix Pyat les accueille de ces paroles : « Frères, citoyens de la grande patrie, de la patrie universelle, fidèles à nos principes communs : Liberté, Égalité, Fraternité, vous francs-maçons, vous faites suivre vos paroles de vos actions ». Léo Melliet, membre de l’Association internationale des travailleurs leur remet un drapeau rouge et déclare : « Voici le drapeau rouge que la Commune offre aux députations maçonniques. Ce drapeau doit accompagner vos bannières pacifiques. C’est le drapeau de la paix universelle, le drapeau de nos droits fédératifs. […] C’est le drapeau de la Commune de Paris que la Commune va confier aux francs-maçons. Il sera placé au-devant de vos bannières et devant les balles homicides des versaillais ».

Mais le 30 avril à 7 heures, Thiers ordonne la reprise des combats. Beaucoup tombèrent sous les balles des versaillais. Pour les autres, ce fût la déportation, l’exil. Là aussi, nous avons ces martyrs en commun, parce que nous avons le progrès social en commun.

Après la Commune, tout au long de la IIIe République, le Grand Orient de France contribuera grandement à l’élaboration des propositions matricielles de la gauche : après l’école gratuite et laïque pour tous viendra la création des caisses de retraites, le besoin d’un ministère du travail et de l’impôt progressif sur le revenu. En 1900, cherchant à s’ouvrir aux classes laborieuses, le Grand Orient de France réduisit le montant de la capitation pour permettre l’entrée en loge des ouvriers. Dans certaines loges, l’appartenance à la CGT vaut même dispense de capitation !

À l’orée du XXe siècle, l’entrée en loge est souvent une démarche politique, un engagement au service de l’action. Il nourrira profondément la création et les conceptions des grands partis de la gauche : radicaux, socialistes puis communistes. Parce que ce lien était si fort et presque consubstantiel, le komintern jugera nécessaire de le trancher en 1922, en ajoutant à ses 21 conditions, une ultime clause interdisant aux communistes toute adhésion à une franc-maçonnerie jugée « bourgeoise ». Pour beaucoup d’entre eux, cette amputation sera vécue comme un drame intellectuel et humain.

Il fallut les circonstances dramatiques de la montée des ligues, de la lutte antifasciste et de la Résistance que j’ai évoquées à l’instant pour que les conditions de nouvelles associations soient réunies. L’une d’elles aboutira à ce qui est aujourd’hui encore, un horizon civilisationnel précieux : le programme des Jours heureux, élaboré ensemble au sein du Conseil national de la Résistance.

Aujourd’hui encore, alors que l’obscurantisme et la haine sont partout en regain, cette concorde est à l’évidence nécessaire entre celles et ceux qui font du progrès humain, de la justice sociale et de la rationalité, des valeurs cardinales de leurs engagements.

Des engagements qui, j’en ai la conviction, conservent une actualité et une pertinence pour relever les défis que ce siècle naissant a placés devant nous. C’est en étant modernes, toujours modernes que serons fidèles à notre histoire et à nos traditions.

Je vous remercie.

J’ai dit.

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