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Rétablir la confiance est la condition pour vaincre la pandémie

L’Assemblée nationale examine le projet de prolongation de l’état d’urgence sanitaire sans qu’aucun bilan n’ait été réalisé sur les deux mois de régime d’exception qui viennent de s’écouler. J’ai déposé et défendu au nom du groupe communiste une motion de rejet sur la poursuite de l’état d’urgence.

La confiance est la condition de la réussite pour vaincre la pandémie. Celle-ci est profondément entamée. Elle ne sera pas rétablit par des mesures toujours plus  autoritaire ou en se défaussant sur les maires ou les directrices et directeurs d’école par exemple.

Les français ne sont pas des « gaulois réfractaires » qui doivent être menés à la baguette et la démocratie n’est pas l’ennemie de l’efficacité. Elle en est la condition.

Le texte de mon intervention

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs les ministres,

Chèr·e·s collègues,

Le premier état d’urgence sanitaire a été discuté et voté pour la première fois ici le 21 mars dernier. Le pays était alors en état de sidération, devant la pandémie et ses ravages.

Et comment ne l’aurait-il pas été ? La population dans son ensemble, simples citoyens, ou épidémiologistes chevronnés, et bien sûr nous tous, porteurs de la décision politique, avons été saisi sinon abasourdi par la soudaineté et l’ampleur de la crise. Que faire, comment s’organiser, avec quel cap ? Personne ne peut prétendre que les réponses à ces questions allaient de soi. C’est pourquoi si nos critiques sont sévères, et elles le sont, nous mesurons aussi la difficulté d’affronter un tel défi, sans précédent dans l’histoire du pays, voire de l’humanité.

Oui, l’art est difficile, mais la critique n’en est pas moins nécessaire.

Or, deux mois après, nous avons de fait, un peu plus de recul et nous pensons que la prolongation de l’Etat d’urgence aurait mérité que nous puissions, avant toute chose, faire le bilan de son application. Or, de bilan, il n’y en a pas.

Il aurait pourtant été très intéressant de pouvoir le faire car, pour ce qui nous concerne, voyez-vous, notre conviction est que cet état d’urgence avec son volet « concentration des pouvoirs dans les mains de l’exécutif, mise sous cloche et confinement de la démocratie dans notre pays » a été contreproductif.

Il n’est pas incertain que cette logique autoritaire ait pesé, par exemple, dans la distinction obtenue par la France au sein des pays européens, celle d’être le pays où le peuple a aujourd’hui, le moins confiance dans ses dirigeants pour mener à bien sa lutte contre le covid-19.

Une confiance pourtant indispensable. Comme le dit le professeur Delfressi, et plus généralement la communauté scientifique et médicale : il ne peut pas avoir de lutte efficace contre le coronavirus et la pandémie sans l’adhésion et la confiance de la population.

Or, cette confiance est abîmée. Très abîmée. D’abord par l’exercice de votre pouvoir, un pouvoir centralisé, personnalisé, s’appuyant sur l’idée folle que notre France, républicaine jusqu’aux confins de son âme, cultiverait la nostalgie d’une autorité monarchique bienveillante.

Pendant trois années, Emmanuel Macron a décrété et votre majorité, en bonne élève, s’est assurée que les édits du prince soient promulgués au plus vite. Et plus il devenait évident que les résultats de cette politique s’éloignaient de la recherche du bien commun, plus les reculs sociaux se sont accumulés, plus le mépris de cette noblesse de robe maltraitait « les gens qui ne sont rien », moins évidemment la confiance était au rendez-vous.

Alors, faute de confiance, vous avez pris l’habitude d’arracher par des formes toujours plus autoritaires de gouvernement, ce que vous ne pouviez obtenir par le consentement et encore moins l’adhésion. Le droit de contester et de manifester, celui du mouvement des gilets jaunes, comme celui de retraites s’est conquis au prix de quelles violences, de combien d’oeil crevé, de mains arrachés et finalement de vies brisées ?

Oui, quand la crise a commencé, la crise sanitaire du Covid-19, cette indispensable confiance était déjà bien abîmée.

Mais les français sont ainsi fait que lorsque la tempête est-là, les querelles et désaccords sont mis de côté. Ils ne sont pas les « gaulois réfractaires » auxquels vous avez voulu les réduire et qu’il faudrait faire marcher au besoin à coup de trique, ils sont un peuple ancien, responsable, doté d’une haute conscience de l’intérêt commun et des devoirs qui l’accompagnent.

Dès le début, l’unité nationale que vous avez réclamée, vous l’avez obtenue. Dans la population, mais aussi sur ces bancs. Nous sommes vos opposants parmi les plus farouches, et vous nous avez pourtant trouvé prêts à contribuer à l’effort collectif que requiert la lutte contre ce virus.

Pourtant très vite, l’impréparation et l’accumulation des cafouillages, des contrevérités avancées avec aplomb et contre l’évidence, ont à nouveau distendu ce lien de confiance fragile.

On découvrit que les stocks de masques n’avaient pas été reconstitués. Que si l’on ne « devait pas en porter », c’était surtout parce que nous en manquions. On s’aperçu que les recommandations de l’OMS, même les plus récentes, en prévision d’une grave pandémie d’affection respiratoire avaient été ignorées, comme l’avaient été, il y a peu, les alarmes des centaines de services d’urgences et de chefs de services hospitaliers et de personnels de santé, dénonçant le manque de moyens et une politique de flux irresponsable.

On s’interrogea aussi sur le sens des injonctions paradoxales qui fusaient de votre gouvernement , « Reste chez vous ! » et en même temps « Allez travailler ».

On s’interrogea également sur les changements de pieds que les incertitudes réelles sur la nature et le comportement de ce virus, ne suffisaient pas à expliquer. Pas de « risque de propagation depuis Wuhan » disait la ministre. « Inutile de tester » massivement proclamait un autre. Et ainsi de suite… La commission d’enquête que nous avons déposé devra en son temps retracer le chemin titubant que vous avez suivi ces dernières semaines.

Mais alors que vous réclamez aujourd’hui la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, nous sommes fondés à nous interroger à ce qui vous a conduit à le promulguer il y a deux mois. Sans doute ne répondait-il pas seulement au besoin de donner un cadre juridique au confinement de la population, mesure indispensable en l’absence de tout plan B.

Comment ne pas deviner que vous ayez recherché ainsi à rétablir l’autorité qui vous manquait à force de cafouillages. Or, au lieu de renforcer cette autorité, l’état d’urgence produisit l’inverse. Son caractère autoritaire et anti-démocratique, dans les prises de décisions qui l’accompagnent, a contribué à nourrir la défiance du peuple dans ses dirigeants.

J’ajoute, d’ailleurs, qu’il est tout de même paradoxal que vous nous demandiez de le prolonger de deux mois, au moment même où prend fin le confinement qui l’avait justifié.

Paradoxe encore car votre projet de prolongation de l’état d’urgence se traduit, entre-autre chose, par une grande décharge des responsabilités sur les chefs d’entreprises, les maires ou encore les directeurs d’écoles. Quelle est donc cette logique qui veut qu’on réclame d’un côté l’état d’urgence, concentrant d’importants pouvoirs aux mains de l’exécutif gouvernemental, et que de l’autre, l’on se défausse de ses responsabilités sur une multitude de responsables économiques et politiques dans les territoires ?

Oui, étrange paradoxe que celui du libéralisme autoritaire qui vous tient de boussole et vous fait recourir à tout propos au régime d’exception. Vous êtes « addict » pour ainsi dire. Et c’est une source d’inquiétude car quand la dérogation devient la règle, la règle ne peut plus être entendue.

Mes chers collègues, l’état d’urgence instaure par nature un climat orageux. Il suffit de reprendre les discours du Président de la République pour s’en rendre compte.

La première prise de parole du Président de la République, le 12 mars, annonçant la mesure de confinement était tournée sur la solidarité nationale, la coopération, le civisme, l’entraide, la responsabilisation de toutes les Françaises et de tous les Français.

Mais lors du discours suivant, celui qui suivit le vote de l’état d’urgence, nous avons eu le droit à une toute autre musique, martiale cette fois-ci, et qu’accompagnait toute une sémantique guerrière… Un discours qui a sans nul doute, changé la philosophie même de la lutte contre le coronavirus.

Mais la lutte contre ce virus n’a rien d’une guerre. Rien. C’est la réponse qu’avec intelligence le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, a formulé ainsi à Emmanuel Macron : « cette pandémie n’est pas une guerre. Les nations ne s’opposent pas à d’autres nations, les soldats à d’autres soldats. C’est un test de notre humanité ».

Un test de notre humanité… La formule n’est pas seulement belle, elle est juste.

Et elle résonne étrangement si l’on confronte les résultats de notre stratégie sur l’état sanitaire du pays et le niveau de confiance dans ses dirigeants, avec ceux obtenus par nos voisins allemands.

C’est pourquoi, nous pensons qu’avant de s’engager dans un débat sur la prolongation de l’état d’urgence, la représentation nationale et son assemblée seraient en droit et s’honoreraient, de demander d’évaluer sérieusement sa première application.

Nous en sommes convaincus, pour retrouver la confiance et l’adhésion des français aux mesures que nous devons prendre pour lutter efficacement contre la pandémie ce n’est pas de l’état d’urgence qu’il nous faut mais plus de démocratie. Elle n’est pas l’ennemie de l’efficacité. Elle en est la condition.

Dans ses mémoires le général de Gaulle évoquant la guerre 14-18, se félicitait que tout au long de ce terrible conflit, l’Assemblée nationale ait pu continuer de contrôler et d’évaluer l’action du gouvernement. Et selon lui, cette contribution de notre chambre « n’avait pas pesé pour rien dans l’efficacité de la France ».

Le Covid-19 est un défi redoutable. Il n’est pas le seul que nous ayons à affronter dans l’avenir, comme ceux du climat ou du partage des richesses. Ils seront relevés à plusieurs mains, dans le choix partagé et non par la force et ni la contrainte qui démontrent désormais leur impuissance.

Seule la démocratie est efficace. Ce qui est inefficace, c’est imposer à toute force et au grand nombre, la volonté d’une minorité. Ce n’est bien sûr pas l’esprit de nos institutions et c’est la raison pour laquelle nous vous demandons de rejeter ce texte.

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